Droit international, économie et entreprises : que dit le dernier rapport de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés ?

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Le 30 juin 2025, Francesca Albanese, Rapporteure spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, a remis au Conseil des droits de l’homme un rapport d’une portée inédite : “From Economy of Occupation to Economy of Genocide” (A/HRC/59/23)

Ce rapport dépasse le constat juridique : il documente l’existence d’un système économique internationalisé qui structure et soutient l’occupation, l’apartheid et, selon les termes du rapport, le génocide en cours contre le peuple palestinien.

Une mutation du système : de l’occupation à l’effacement

Le rapport établit que l’occupation israélienne ne repose pas seulement sur une domination militaire ou administrative. Elle s’appuie sur deux piliers économiques complémentaires :

  • la dépossession (expulsions, démolitions, accaparement des ressources)
  • le remplacement (colonisation, implantation économique, appropriation symbolique et culturelle)

Le rapport met en évidence que ces logiques sont aujourd’hui alimentées et renforcées par des acteurs privés et publics internationaux, parfois à leur insu, souvent en toute connaissance de cause.

 Des entreprises impliquées

Plusieurs dizaines d’entreprises sont nommément identifiées dans le rapport comme ayant un rôle actif dans cette économie de l’occupation, à travers des secteurs très variés :

  • Armement : Elbit Systems, Israel Aerospace Industries, Lockheed Martin, Leonardo S.p.A.
  • Technologies & surveillance : NSO Group, Palantir Technologies, IBM, HP, Microsoft
  • Cloud & IA : Amazon Web Services, Google (Alphabet), via le projet « Nimbus »
  • Construction & infrastructures : Caterpillar, Heidelberg Materials, CAF (Espagne)
  • Agriculture : Sociétés exportatrices de produits issus des colonies, via Amazon
  • Tourisme & plateformes : Airbnb, Booking. com
  • Finance : BNP Paribas, Barclays, Vanguard, PIMCO (investissements dans l’État et les entreprises israéliennes impliquées)
  • Universités & centres de recherche : Institutions israéliennes partenaires de multinationales, mention du MIT (États-Unis)

Le rapport souligne que les chaînes d’investissement, les systèmes de financement, la recherche universitaire et les plateformes numériques participent à la pérennisation de l’occupation et à l’effacement de la population palestinienne.

Devoirs juridiques et responsabilités

Le rapport repose sur un cadre juridique international précis, combinant droit international des droits de l’homme, droit international humanitaire, droit pénal international et les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits humains.

Il rappelle notamment que :

  • Les États ont l’obligation première de prévenir, enquêter, sanctionner et réparer les abus commis par des tiers, y compris les entreprises, sur leur territoire ou sous leur juridiction ;
  • Les entreprises, quelle que soit leur taille ou secteur, sont juridiquement tenues de s’abstenir de causer, de contribuer ou d’être directement liées à des atteintes aux droits humains et aux crimes internationaux — en particulier dans les contextes de conflit, où une diligence raisonnable renforcée s’impose ;
  • La responsabilité des entreprises peut être civile, administrative ou pénale, selon qu’elles aient causé, facilité ou tiré profit de violations graves — y compris de crimes de guerre, d’apartheid ou de génocide ;
  • Le rapport souligne que les dirigeants et cadres peuvent également être personnellement poursuivis pour leur connaissance et participation matérielle à de tels crimes, dans le cadre de procédures nationales ou internationales.

Le texte précise que les entreprises ne sauraient se réfugier derrière la diligence raisonnable si elles continuent à maintenir des relations commerciales avec un régime qui viole des normes impératives du droit international (jus cogens).

Enfin, le rapport est sans ambiguïté : Les entreprises engagées dans des activités liées à l’occupation doivent se retirer immédiatement, totalement et sans condition de toute implication économique, technologique ou logistique.

Pourquoi ce rapport interpelle notre communauté professionnelle

Parce qu’il renforce une conviction de plus en plus partagée dans les milieux juridiques, économiques et universitaires :

  • La neutralité économique n’existe pas face à des violations systémiques du droit ;
  • Les entreprises, comme les États, peuvent être tenues responsables – y compris pénalement – pour leur rôle actif ou passif ;
  • Les professionnels du droit, de la conformité, de la finance durable ou de la gouvernance ont un rôle à jouer dans la prévention de ces complicités.

Une vigilance juridique qui ne peut plus être facultative

Ce rapport rappelle combien le droit – qu’il soit commercial, pénal, ou international – structure aujourd’hui la responsabilité des entreprises au-delà des frontières nationales. Dans un contexte où les acteurs économiques sont de plus en plus appelés à répondre de leurs engagements, les pratiques contractuelles, les relations d’affaires internationales et les stratégies de conformité doivent intégrer des critères renforcés de vigilance et de licéité.

C’est dans cette perspective que s’inscrivent les réflexions que nous menons au sein de notre cabinet, aux côtés de clients confrontés à des enjeux sensibles, parfois complexes, à l’intersection du droit, de l’éthique et du risque opérationnel.

Pour aller plus loin

Le rapport complet (en anglais) est disponible ici :

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